Spécialiste de plongée sous glace, aventurier dans l’âme et amoureux des pôles, Alban Michon se lance dans sa troisième expédition médiatisée, « Arktik » : traverser seul, à ski kite le mythique Passage du Nord-Ouest qui relie les océans Atlantique et Pacifique. Près de deux mille kilomètres dans des conditions extrêmes, pendant 90 jours, il suivra les traces de l’explorateur norvégien Amundsen, le premier à l’avoir réalisée en 1906 après trois années de périple…. Départ : M-1.
Comment est né ce projet « Arktik » ?
Le projet est né il y a un peu plus d’un an. J’appelle mon ami réalisateur et je lui dis: « Thierry, j’ai envie de repartir! »… Ce qui est drôle, car à mon retour du Groenland, je n’en avais plus le désir! Je me suis concentré sur le pôle Nord, car je rêvais d’y retourner. J’ai choisi de raconter l’histoire du Passage du Nord-Ouest après avoir vu un film, où l’on voit un brise-glace russe gigantesque au pôle Nord, l’ancre posée sur la glace, musique à fond, champagne et des touristes irrespectueux de l’environnement. Un lieu où six ans auparavant, j’avais vécu ma première aventure « Under the Pole »… Le choc ! Le Passage du Nord-Ouest est très intéressant et d’actualité. Car si son accès était bloqué par la glace depuis des années, avec le réchauffement climatique, le passage devient praticable, ouvrant avec lui toutes les convoitises. En effet, il permet de raccourcir de 4000 km l’actuel trajet maritime entre l’Europe et l’Extrême-Orient. En septembre 2016, le bateau « Crystal Serenity » le traverse pour la première fois de l’histoire, avec à son bord 1070 passagers.
« Aujourd’hui, il faut trouver des solutions pour concilier l’Homme et l’environnement. »
« À mon échelle, j’essaie d’apporter une petite pierre à l’édifice qu’est la protection de l’environnement. »
Quels messages souhaites-tu transmettre via ces expéditions ?
Dans vingt ans ou moins, ce qu’on vit ici sera écrit dans les livres d’histoire et je veux partager cette aventure avec le plus grand nombre pour sensibiliser, mais aussi collecter des informations sur le changement climatique pour les scientifiques. Le but est de ramener des images qui seront un témoignage pour les générations futures, car le monde arctique est en train de changer face aux enjeux territoriaux, politiques et économiques. Je veux aussi faire rêver les gens, tout en invitant à la réflexion sur la protection de l’environnement. Je n’apporte aucun jugement. Je ne dis pas que telle chose est bien, en pointant du doigt son opposé. Avec le temps, j’ai appris à ne plus trancher comme je le faisais avant. Bien évidemment, mon cœur prêche pour laisser ces zones préservées et sauvages. Mais j’essaie de comprendre les autres points de vue.
« Ce ne sont pas les discours des politiciens qui me donnent envie de protéger l’environnement ; ils ne me touchent pas et je ne les comprends pas. »
Je préfère montrer ce qui est beau, car tu as naturellement envie de t’y intéresser, de le comprendre et de le protéger.

Est-ce en partant en expédition que tu as eu cet éveil pour la protection de l’environnement ?
Oui, je l’ai eu lors de la première expédition au pôle Nord : « Under the Pole ». En 2010, on parlait de réchauffement climatique et l’on disait que d’ici quinze ans, la température de la planète augmenterait d’un à deux degrés. Comme beaucoup, à Tignes avec nos -15°C, je me disais que ce n’était pas grave, qu’il ferait -13°C!
Lorsqu’on a plongé les premières fois en expédition, c’était la fin de la nuit polaire, aux alentours de fin mars. L’eau était à -1,6°C. Sous l’eau, la glace était dure, tranchante, vive et d’un bleu glace extraordinaire ! Un mois plus tard, l’eau était à -1,4°C: seulement 0,2°C de différence. La glace était alors rondouillette, on pouvait enfoncer le poing directement dans la glace ; elle était jaunâtre et friable. C’est à ce moment que j’ai compris ce que représentait 0,2°C et ses conséquences… comme ce que pouvait représenter l’impact énorme de 2°C sur l’échelle de la planète !

Qu’est-ce qui te plaît dans l’univers de la glace ?
C’est toute une ambiance particulière, des jeux de lumière; c’est fascinant! La glace est puissante et fragile à la fois. C’est aussi la base du climat de la planète. C’est elle qui va tout réguler; tous les changements de courants marins, la montée des eaux … tout part de là ! Je trouve qu’il y a une vraie histoire à raconter et j’essaie d’en faire des beaux récits d’aventure pour que les gens puissent comprendre, être sensibiliser à leur environnement et pour que des élèves qui me suivent puissent apprendre des choses de manière ludique.
« Cela ne touchera pas tout le monde, mais si ça peut toucher ne serait-ce qu’une personne, si cela peut lui apporter des choses dans la vie, tant mieux ! «

Comment te sens-tu à un mois du départ ?
J’ai hâte, car je l’ai tellement imaginé… néanmoins, je ne suis pas prêt! Il me manque plein de choses et je n’ai pas le temps de tester tout le matériel que j’aurais voulu essayer… ce qui était pareil avec les anciennes expéditions, donc ça va, je ne suis pas stressé !

Tu es d’abord parti en un petit groupe de huit, ensuite à deux personnes, maintenant seul. Était-ce une suite logique ou un challenge que tu avais en tête depuis le début?
Un peu des deux! Pour le Groenland, j’avais initialement prévu de le faire seul, mais en fait je n’étais pas prêt. J’ai toujours eu cette envie de faire une expédition seul. Cette aventure s’inscrit comme une suite logique et je pense que j’ai assez d’expérience pour pouvoir la réaliser.
« En fait, j’ai un problème… Généralement quand je dis quelque chose, je le fais ! »

D’où vient ton attraction pour les pôles?
Tout a commencé en 2007. Jean-Louis Étienne, un grand explorateur, me contacta, car il partait faire une grande exploration au pôle Nord et il souhaitait que j’entraine son équipe de plongeurs à plonger sous la glace. Ils sont venus à Tignes et je me suis lié d’amitié avec un des logisticiens. Malheureusement, l’expédition s’annule. Huit mois plus tard, le logisticien m’appelle et me demande si cela me tente d’aller plonger au pôle Nord géographique… J’étais sur l’autoroute en train de conduire et j’ai dis oui ! On décide de monter cette expédition qui met deux ans à s’organiser. Le 21 mars 2010, on nous dépose au pôle Nord. C’est ma première expédition médiatisée « Deepsea under the pole »; c’est le désert blanc, il fait -52 degrés. C’est l’aventure avec un grand « A ». On fait des plongées extraordinaires sous la banquise, je suis conquis par ces grands espaces!

Comment es-tu tombé dans l’univers de la plongée sous-marine ?
Je crois que c’est ce qu’on appelle la passion. Quand j’étais petit, j’adorais nager avec mon masque et mon tuba. A mes cinq ans, j’arrachais les photos de plongeurs dans les magazines et je les gardais, sans jamais savoir pourquoi ! Et puis un jour, je tombe sur un article sur la plongée sous-marine pour les enfants. Dans les années 1986, la discipline n’était pas très répandue, alors j’ai envoyé une lettre à la Fédération française de plongée pour savoir comment et à quel endroit je pouvais en faire. J’ai dit à mon père et ma sœur que je ne voulais pas y aller tout seul, donc on s’est mis à la plongée en famille, dans une piscine! J’ai passé mon premier diplôme de plongée à l’âge de 11 ans, avec Bernard mon moniteur et là, je me sentais heureux! Je respirais sous l’eau, je volais; c’était classe quoi ! Je me suis dit : « quand je serai grand, je travaillerai dans le monde de la plongée ! »

Te souviens-tu de la première fois où tu as plongé sous la glace ?
J’avais 18 ans. Le soir du 31 décembre 1997, j’ai un copain propriétaire du lac à Troyes dans l’Aube, qui me propose de plonger sous la glace, car cette année le lac avait gelé. J’ai eu très froid, car le matériel n’était pas adapté, mais j’ai adoré ! De nuit, avec la lampe allumée, la glace scintillait: c’était magique!
« Quand j’avais 15 ans, j’ai écrit le planning de ma vie. J’ai écrit que je voulais faire des voyages, des films, écrire des livres, vivre des aventures avec un grand « A », faire de l’exploration… »

Cite-moi un explorateur qui t’inspire?
Jean-Louis Étienne. C’est un explorateur français qui me touche beaucoup. Il a été le premier homme à atteindre le pôle Nord en solitaire en 1986. Ce qui me plait c’est que c’est un médecin à l’origine, il est petit, tout fin et tu ne penses pas tout de suite que c’est un explorateur. Mais pour être explorateur, c’est d’abord dans la tête; tout tient à la volonté et la persévérance! Après ses premières expéditions, il apporte une touche scientifique à chacune de ses aventures en collectant des données.
« On n’est qu’en 2017… il reste tout à faire en science! À innover, construire et créer le monde de demain. Plus on apporte des informations d’endroits qui sont difficiles d’accès, mieux c’est ! »

Qu’est-ce qui a été le plus dur dans chaque expédition ?
Dans la première, c’était le froid, avec des températures extrêmes allant jusqu’à – 50… C’était très dur et compliqué ! Pendant quinze jours, j’avais l’impression que Mike Tyson me boxait la tête! Au Groenland, le plus dur était les accostages sur la côte avec les kayaks… Quand tu choisis de partir en expédition, il y a beaucoup de travail en amont, comme l’étude des vents et des courants sur les cinq dernières années, prévoir des plans B etc. L’erreur que l’on a faite avec Vincent, c’est qu’on avait imaginé que l’on arriverait sur une plage de sable fin… or c’était plutôt de gros galets avec le ressac qui te jette violemment dessus et qui abime les kayaks !

Lorsque l’on fait ce type d’expédition, tout tient dans le mental… Alors lorsque tu es à bout, à quoi penses-tu?
Je pense à ma famille et à mes amis. Je me dis que si je ne reviens pas, ils vont être tristes.
Des deux expéditions extrêmes que tu as faites, laquelle a repoussé le plus tes limites ?
Bizarrement, c’était la deuxième, au Groenland. Au pôle Nord, si tu enlèves le froid, on est à huit. Si tu passes à travers la glace, il y a tes amis à côté. Pour le « Piège Blanc », on n’était que deux et je suis plus à l’aise sur des skis que sur un kayak ! On n’en avait jamais fait de notre vie… Avant de partir, Vincent s’est entraîné 3h sur un lac et moi 6h en mer autour de l’île Porquerolles !
« Entre le plaisir extraordinaire que tu peux avoir sur les expéditions et la difficulté et la souffrance que tu ressens: à la fin, les deux créent un équilibre ! »

On te prend souvent pour un fou ?!
Je ne me considère pas comme fou! Souvent quand tu pars faire une aventure, les gens pensent que tu dois être bon partout, alors que pas du tout ! Je suis un spécialiste de la plongée, pour le reste, j’apprends, je teste, je me débrouille. Je ne savais pas lire un GPS: j’ai lu la notice, je ne comprenais rien, mais je me suis débrouillé ! C’est comme dans la vie de tous les jours, dès qu’il y a quelque chose que les gens ne maitrisent pas, dès qu’ils ont une première peur, ils se mettent des barrières et ne font plus rien. On a tous des peurs, mais si à la première on s’arrête, on ne fait rien dans la vie ! J’ai juste envie d’en profiter ! Je vis mes rêves et j’essaie de les partager.
« J’ai juste envie de vivre avec un grand V. »

Quel a été ton plus beau souvenir dans le documentaire « Le Piège Blanc » ?
La nage avec l’ours blanc! C’était juste féérique, extraordinaire, puissant et émouvant ! C’est un peu toute ma vie. J’ai vraiment vécu quelque chose de très fort ! Au début je croyais que c’était un bout de glace au loin, qui avançait drôlement vite, puis avec des poils. Quand j’ai réalisé que c’était un ours blanc, je me suis dit « oh, put***! ». On s’observe. Je l’ai vu deux fois descendre en apnée jusqu’à deux-trois mètres et rester six secondes. Il était très curieux !

As-tu eu peur ?
Beaucoup de personnes me le demandent, et sincèrement, je n’ai pas eu le temps ! C’était dingue ! Avec la montée d’adrénaline, je suis ressorti de l’eau, et si d’habitude je suis frigorifié, là je n’ai pas eu froid du tout !

« Ici on maîtrise la nature, là-bas c’est la nature qui nous maîtrise : c’est la vraie vie. »
Tu as dit après cette deuxième expédition : » Prisonnier des glaces, je ne me suis jamais senti aussi libre «
Je ne me le suis pas dit sur le moment! (rires) C’était quand on était bloqué avec Vincent sur nos kayaks dans la glace qui se refermait sur nous et c’est vrai qu’on a eu peur… C’est avec le recul que cette phrase m’est venue. Quand tu es dans cette situation, tu es livré à toi-même. C’est toi qui vas prendre tes propres décisions, tu te fais ta propre réflexion. Aujourd’hui je trouve qu’on perd de plus en plus cette liberté ; on moule les gens… Alors quand tu es dans ce genre de situation, tu es toi-même. D’un côté tu es prisonnier des glaces, mais de l’autre tu es libre, libre de crier, de faire ce que tu veux! C’est très antinomique, mais c’est très fort. C’est ce que j’aime aussi en expédition:
« Tu ne caches plus ta vraie nature, tu es juste un Homme et tu n’es rien face à l’immensité que tu as devant toi. »
Tu as des vraies émotions, qui sont démultipliées en aventure ; il n’y a pas de jugement, pas de honte, tu es en mode « survie ».

Une citation qui résume ta philosophie de vie ?
« Il faut toujours rester à l’écart des gens pessimistes, car ils ont toujours un problème pour chaque solution. »
Je trouve que la vie est belle et peut être relativement simple, même si elle est parfois compliquée. Il y a suffisamment de difficultés dans la vie pour s’en rajouter d’autres, alors qu’il y a souvent des solutions. Et s’il n’y a pas de solution, c’est qu’en théorie, il n’y a pas de problème !

Un rêve?
J’en ai encore plusieurs et je continue à en écrire d’autres au fil des ans ! Celui que je n’ai pas encore réalisé, ce serait de faire le tour du monde en famille. Puis je me suis posé la question :
« Est-ce bien de réaliser tous ses rêves, ou est-ce qu’il ne faut pas en garder quelques-uns…? »
- Alban Michon : site, Instagram , Facebook , Twitter
- Conférencier, aventurier, explorateur, guide en Sibérie et Antarctique pour Abyssworld
- Livres: Glacéo , Le Piège Blanc
- Documentaires: Deepsea Under the Pole (2010), Le Piège Blanc (2012) : à voir ici
- Pour participer au financement du projet Arktik : ici