Chapeau melon sur la tête, longues nattes, jupons et accessoires de couleurs vives: les Cholitas de La Paz, en Bolivie, ne passent pas inaperçues ! Photographe indépendante, Delphine Blast met à l’honneur ces femmes d’origine indigène, en les suivant dans leur quotidien et en les immortalisant le temps d’un portrait.
Exposition Chata Gallery du 7 au 20 novembre – 14 rue du Château d’Eau, Paris 10ème
Que désigne les « Cholitas » ?
À l’origine, le terme vient de « chola » qui désigne à l’époque un « bâtard ». Au XVIe siècle les espagnols ont récupéré ce mot en « Cholita » pour discriminer les femmes métisses dont les ancêtres étaient mixtes : américain et indigène. Aujourd’hui, « Cholita » désigne une femme indigène d’origine Aymara (peuple qui vit sur les hauts plateaux andins). En Bolivie, ce terme désigne plus globalement un mode de vie.
Être Cholitas, c’est aussi porter une tenue traditionnelle ?
Ce sont les colons espagnols qui ont d’abord imposé cette tenue traditionnelle après une révolution au XVIIIe siècle, afin de les différencier dans la société. On aura le chapeau melon, le châle, les jupons, les motifs et les longues nattes. Aujourd’hui, les tissus utilisés sont très colorés, mais cela évolue au fil des siècles avec la mode: à l’époque par exemple, les tons étaient pastels, les châles plutôt de couleurs sombres.
« C’est tellement devenu à la mode, que de nombreuses boliviennes non indigènes se déguisent en Cholitas ! »

Il y a des défilés de mode « Cholitas », des écoles de mannequinat, les tissus et les motifs se sont beaucoup modernisés, occidentalisés, parfois un peu trop où dans certains cas, cela a créé une polémique… En 2015 à l’occasion de la fête du Gran Poder à La Paz, les organisateurs ont interdit certaines variations de la tenue Cholitas, comme des décolletés trop prononcés, le dos découvert ou le fait de mettre deux broches sur le châle au lieu d’une seule. Le but étant de sauvegarder les tenues traditionnelles et « l’essence même de la Cholita de La Paz« .
Trois mots qui, pour vous, définissent les Cholitas que vous avez suivi?
Fières – Inspirantes – Femmes fortes
Comment s’articule l’exposition ?
L’exposition rassemble une partie historique (archives, photos d’époques), des portraits studios ainsi qu’une partie reportage, où l’on suit des Cholitas dans leur quotidien. Elles symbolisent la dignité retrouvée des populations indiennes.
Pourquoi ce choix ?
Le photo-reportage s’imposait, car je trouvais leur histoire très intéressante. Via leur quotidien, on y voit leur ambition et l’évolution de ces femmes dans la société bolivienne. Elles savent où elles vont, nombreuses combinent études et travail, leur statut de maman et de femmes indépendantes. Si elles ont longtemps été discriminées dans la société (pas accès à certains postes, ni à l’université etc.), aujourd’hui on voit des Cholitas dans tous les corps de métiers (de présentatrice à chauffeur de bus, dentiste ou membre du gouvernement…). Elles adaptent leur tenues à leur quotidien, chacune pour différentes raisons (côté pratique, par choix…).

Concernant la série de portraits, c’était la première fois que je travaillais en studio. C’était un véritable challenge! Avec ces tirages, je voulais valoriser ces jeunes femmes, montrer l’évolution des Cholitas, loin de l’image occidentalisée que l’on peut avoir de la Cholita, cette « mamie présente sur les marchés » (bien qu’elles existent toujours!). Je voulais mettre en valeur cette nouvelle génération, ce côté élégant, cette force et cette fierté qui leurs sont propres. Le cercle derrière elles représente la Terre Mère, symboliquement leur origine Aymara, les racines des Cholitas. Leur tenue, les couleurs vives et les bijoux représentent la modernité, la fraîcheur et expriment toute la beauté de ces femmes.
Longtemps discriminées dans leur pays, quel a été le déclic qui a fait qu’elle sont à nouveau sur le devant de la scène, dignes et fières ?
Le changement s’est fait progressivement. L’arrivée au pouvoir en 2006 du président Evo Morales y a contribué. C’était un des premiers présidents à apparaître avec le tissu traditionnel bolivien, à mettre des Cholitas au pouvoir. On a aussi des figures emblématiques qui ont accentuées le phénomène, comme Dona Remedios Loza. la première Cholita à occuper une place au parlement en Bolivie et la première femme à se présenter à la présidence des élections de 1997. Des émissions ont aussi eu un rôle, telle que « radio televisión popúlar », dont l’objectif était de donner la voix aux sans-voix.

Grâce à cette exposition, on se rend compte également de l’évolution de ces Cholitas au sein de la société?
Oui, d’où l’importance d’avoir intégré à cette exposition une partie historique, afin de montrer de quelle manière étaient discriminées ces femmes et pourquoi. J’ai eu du mal à trouver des articles de presse dans les archives, car on parlait très peu des Cholitas à l’époque.
Pendant mes recherches, j’ai eu la chance de découvrir le travail incroyable de deux photographes boliviens : Julio Cordero et Damián Ayma Zepita, dont on retrouve le travail au Musée San Francisco et au Musée National d’Ethnographie et de Folklore.
L’histoire des Cholitas en Bolivie est très complexe, tout comme leur évolution au sein de la société. En effet, elles n’ont pas toutes été discriminées, il y a eu une élite de Cholitas, comme le montre une partie du travail de Julio Cordero.

« Cholitas » s’inscrit également dans un projet plus global sur l’évolution de la place des femmes dans les sociétés en Amérique Latine ?
J’ai toujours été attirée par l’Amérique Latine, où je m’y sens chez moi. Tous les pays de ce continent sont en pleine mutation économique et sociale. Certains pays, comme la Colombie, souffrent encore d’une image négative à l’international (drogue, pauvreté, violence…), alors qu’il y a plein d’autres choses qui font le quotidien de ces gens. Avec des projets comme les « Cholitas » en Bolivie, ou « Quinceñeras » en Colombie, je me questionne:
« Comment fait-on, en tant que femme, pour évoluer dans un pays un peu machiste. J’ai décidé de raconter ces histoires-là, qu’on ne connaît pas vraiment en Occident. »

« C’est important que dans mon travail, à mon niveau, je me sente utile. La photographie est un peu un prétexte pour aller à la rencontre de ces gens dont on parle peu, mais qui méritent d’être connus. »
Quel message voulez-vous faire passer au travers cette exposition?
J’aimerais apporter une autre image de la Bolivie via l’histoire de ces femmes.
Pour aller plus loin :
Delphine Blast : site internet et Instagram
Présence de D.B à « Paris Photo » au Grand Palais du 9 au 12 novembre pour la signature du livre « Cholitas ».
L’exposition à Bordeaux : festival les Nuits Noires photographiques du 18 janvier au 24 février 2018, au Forum à Talence.
